13 questions sérieuses à Mylène

Mylène, prête à faire du stop pour redescendre dans le sud de l'Australie (photo prise par Manon)

Mylène, prête à faire du stop pour redescendre dans le sud de l’Australie (photo prise par Manon)

Mon concours “Gagnez une entrevue avec La page à Pageau” est de retour, après une pause de plusieurs mois. Cette fois, la gagnante est mon amie Mylène Horellou, que j’ai rencontrée à Hanoi, lors d’une mémorable soirée ponctuée de Hanoi (une marque de bière locale) et de photos festives. On s’était ensuite revus par hasard à Vang Vieng, dans ce genre de moment où l’on réalise, une fois de plus, que le monde est vraiment petit. Or Mylène se trouve actuellement au Guatemala, dans le cadre d’un contrat de travail et elle a pris le temps de répondre avec enthousiasme à mes questions. Je l’en remercie. Mylène m’a en outre exigé une chouette introduction, sous peine de mandater des brutes pour m’apprendre l’art d’en écrire une. J’espère que tu es satisfaite, Mylène. Sinon, mes ninjas et moi attendons tes hommes de main.

Pourquoi voyages-tu?

Je ne sais jamais si je voyage pour la découverte du monde et des cultures, ou par pur égoïsme simplement parce que j’ai besoin de voyager pour me sentir vivante. J’imagine un peu des deux. J’aime beaucoup rencontrer de nouvelles personnes et voir des manières de vivre différentes, des paysages différents… Pour moi tous les pays valent la peine d’être découverts, car si tous n’ont pas des « attractions exceptionnelles », ils offrent tous au moins un dépaysement et la possibilité de découvrir de nouvelles choses. De manière plus personnelle, j’ai ce besoin de mouvement pour me sentir vivre et libre, et je ne suis jamais aussi heureuse que sur le route.

Qu’est-ce que tu aimes le plus, dans le fait de voyager?

J’aime la liberté absolue (ou presque, suivant les destinations) que le voyage m’offre, et cette sensation me fait vivre. Encore une fois, la route me nourrit.

Qu’est-ce que tu aimes le moins, dans le fait de voyager?

Ne jamais savoir ni comprendre pleinement l’impact de mes voyages sur le monde et les sociétés que je rencontre. Et passer des nuits à ressasser ces questions.

Comment réagis-tu quand tu te perds, en voyage?

J’adore me perdre! Sauf si je suis dans des zones vraiment dangereuses (comme parfois ici, en Amérique centrale), mais sinon je demande ma route à plein de gens, parce que en général cela me permet de découvrir des lieux ou je ne serais jamais allée.

Quel rôle les attentes jouent-elles dans un voyage?

La plupart du temps je ne m’attends à rien. Pas par peur de la déception, mais surtout parce que j’ai beaucoup de mal à me projeter dans le futur. Ou lorsque je « prépare » un voyage, je prends plaisir à le faire, puis une fois sur place je change tout et j’ai ainsi eu une double dose de plaisir.

Comment perçois-tu le débat sémantique « touriste/voyageur »?

C’est difficile à dire. Je me vois comme une voyageuse, mais est-ce qu’un voyageur n’est pas aussi un touriste? Peut être que le touriste n’est pas un voyageur mais que le voyageur est (aussi) un touriste. Je suis tombée un jour sur cette phrase que j’ai beaucoup aimée, même si je la trouve un poil exagérée: « Le voyageur ne sait pas où il va; le touriste ne sait pas où il est allé ».

Donc le voyageur serait quelqu’un qui part pour partir, qui prend son temps et qui ne va pas dans un pays seulement pour voir des lieux particuliers. Et un touriste serait une personne qui part pour un temps défini et pour des destinations établies à l’avance.

Que signifie le mot « authentique » pour toi?

Again, difficile à dire. Nous sommes tous à la recherche d’authenticité… Mais est ce que « l’authentique » est immuable? Et puisque tout évolue, n’y aurait-il plus d’authenticité?

Bien sûr je suis comme tout le monde et je cherche à voir ce qui n’a pas (trop) été touché par le tourisme, mais je garde en tête que ce tourisme que j’apporte (bien que me considérant comme voyageuse) a un impact sur cette authenticité.

Peut-être que l’authenticité commence par la sincérité, ne serait-ce que d’un sourire.

Quel concept a le plus de sens pour toi: la durée d’un voyage ou la densité d’un voyage? Justifie ta réponse.

La durée. Justement pour pouvoir en digérer la densité.

Où traces-tu la ligne entre ouverture d’esprit et refus de tolérer des valeurs non conformes aux tiennes?

J’essaie d’être la plus ouverte possible, et de ne surtout pas juger. Par contre j’ai certaines positions qui font que je ne peux pas accepter certaines traditions, notamment en tant que femme. Et dans ces cas-là, en effet, je juge…

J’ai toujours eu du mal à me situer dans ces débats: tolérer l’intolérable en fustigeant l’intolérance? Ou franchir la ligne, pouvoir être perçue comme intolérante mais au moins défendre des valeurs qui me sont propres?

Quelle place la spiritualité (sous toutes ses formes possibles) occupe-t-elle dans un voyage, selon toi?

« La plupart des spiritualités cherchent une “libération de l’âme” prisonnière ou dominée par la matière » J’ai trouvé cette phrase sur Wikipedia (oui, je sais, ce n’est pas très original), et elle m’a interpellée. En voyageant, est-ce que je cherche seulement à dégager mon âme de tout ce que l’on m’a inculqué depuis mon enfance? De la vie dans une société que je rejette? Est ce que le voyage m’apporte l’ataraxie?

Oui, d’un certain côté le voyage m’offre une paix avec moi-même que je ne trouve pas forcément dans mon propre pays, ni dans sa routine.

Personnellement, je ne pense pas à un coté spirituel lorsque je voyage. Mais beaucoup de gens envisagent leur voyage sous cet angle-là, et pourquoi pas? Si le voyage peut permettre un meilleur développement personnel, je cautionne.

Quelle est ta plus grande peur liée aux voyages?

Euh… J’ai peur de déranger, de juger, de ne pas comprendre…

Quel serait ton voyage de rêve?

Oulà! La question piège! J’ai une petite liste en ce moment (non-exhaustive): le Transsibérien, entre Moscou et Vladivostok; les îles Kerguelen; l’Antarctique en brise-glace; la Transat en voilier; l’Amérique du Sud en bateau; du trekking en Laponie; aller de chez mes parents (en France) à Kiev en vélo; la côte Ouest australienne en 4 x 4; marcher dans le désert; voir les aurores boréales/australes…

J’en ai beaucoup sous mon oreiller, j’aime rêver…

Quels sont tes projets de voyage?

Pour le moment j’habite au Guatemala, je vais donc essayer de connaître au mieux ce pays. Puis dans un an, quand je finis mon contrat (je travaille à l’Alliance française), soit je descends jusqu’à Ushuaïa, soit je trouve un voilier, et peu importe ou il va. Vamos a ver, comme on dit ici.

La suite de cette entrevue sera publiée ce jeudi.

9 thoughts on “13 questions sérieuses à Mylène

  1. Haydée@Travelplugin

    Franchement j’aime bien la philosophie de vie de Milène ! Et je préfère défendre mes idéaux quit à passer pour une intolérante, malheureusement, ce sont des choses qui arrivent, on passe pour quelque chose qu’on n’est pas forcément.
    Pour moi celui qui est de passage est un touriste même s’il fait un tour du monde d’un an. Alors que celui qui vit dans le pays (c’est le cas de ma maman en France) est un local à temps complet ;)
    Concernant l’impact sur les sociétés, j’ai le même problème et j’ai mauvaise conscience. Un ami m’a un jour dit “je ne voyage plus c’est fini”, après un séjour en Egypte où il avait vraiment l’impression de montrer ses richesses européennes devant des gens qui le suppliaient tous de leur donner une pièce.

    Ca l’a dégouté à vie, et je dois avouer que je ressens un peu ça également de temps à autres. Après le tourisme reste un bon moyen pour ses pays de faire de l’argent.
    Et j’ai une (enfin 2) question sur le Nicaragua :
    Est-ce vraiment un pays dangereux ?
    La condition de la femme est-elle aussi mauvaise qu’il est dit dans les médias ?

    Merci pour cet interview que je trouve très bon.

    Reply
    1. mylene

      youpi, une fan ;)

      Question sécurité: pour l’instant je n’ai pas encore eu l’occasion de voyager vraiment dans le pays, alors je vais parler pour la capitale, qui est de toute manière l’endroit le plus dangereux du pays, mais OUI c’est dangereux.
      Il y a plusieurs zones de la ville ou je ne peux pas mettre les pieds, purement et simplement (comme la 18 par exemple). Après, certaines zones sont évidemment plus sures que d’autres, mais tout dépend des rues. L’une va être OK, et celle d’après un coupe-gorge. Il es déconseillé de prendre les bus rouges, je marche peu, et des qu’il fait un peu sombre je prends le taxi, et encore, pas n’importe quelle compagnie…
      Personnellement je prends les bus rouges, et pour l’instant tout va bien, touch wood, mais je sais qu’il y a de fortes chances que je me fasse agresser un jour. Mais ici, il faut bien comprendre qu’on ne m’agressera pas parce que je suis blanche (bon ok ça peut arriver hein) mais parce que tout les gens dans le bus seront agressés en même temps que moi. La pire situation restant le meurtre du chauffeur qui n’aurait pas payé son “impôt” aux maras.
      Mais encore une fois pour l’instant tout va bien, les guatémaltèques sont très sympas et je ne me suis jamais sentie en insécurité en respectant ses quelques règles de base, qui ne sont pas nécessaires seulement dans ce pays (même combat pour Caracas).

      Question “femmes”: Oui, la situation est assez catastrophique ici, c’est un pays très machiste, et les violences envers les femmes sont très importantes. Il y a énormément de famicides aussi, et les journaux ne sont qu’une longue litanie du nombre de corps qu’on a retrouvés la veille.
      Je pense faire une petite “enquête” sur le situation et le féminisme au Guatemala, je pourrais peut être envoyer quelques lignes à Stéphane.

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      1. Haydée@Travelplugin

        Aïe, concernant les femmes, cela me fait penser aux nombreux meurtres de femmes dont on entend parler en Inde (brûlé par le feu).
        Merci pour cette longue réponse ;)
        Et sachant que tu risques de te faire agresser, tu as une bombe lacrymo ou un truc du genre sur toi ??

        Reply
        1. Mylène

          Non, rien du tout, mais tu sais c’est le genre de pays ou tu ne t’amuse pas à résister pour ton téléphone, parce qu’ici c’est pas un coup de poing que tu risques de prendre, mais une balle dans la tête…

          Reply
          1. Haydée@Travelplugin

            Il n’y a que mon mec pour résister ! En fait nous nous sommes fait agressé à la machette au Pérou, et mon mec a résisté par peur tout simplement. Il a cru qu’il allait se prendre un coup de machette donc il a dégagé l’agresseur à coup de pompe (qui a fini par avoir notre sac d’ailleurs), mais il s’est bataillé jusqu’au bout. S’il a eu raison ou non ? C’est un grand débat.
            Mais ce qui est drôle c’est qu’au retour à peine arrivé à Paris, on m’a arraché mon portable des mains alors que j’étais en ligne. Je n’ai pas cherché. (même en France j’entend)

    2. Stéphane Pageau Post author

      Haydée: tout d’abord, merci pour tes commentaires, je sens vraiment ton intérêt et c’est super. Ensuite, je pense que c’est bien de défendre ses idéaux, il suffit de trouver le ton approprié. Par exemple, en voyage, on m’a plusieurs fois posé des questions sur ma religion, sur ma pratique religieuse, l’importance que j’y accorde, etc. Je répondais honnêtement, sans prendre des mots durs ou offensants. Je voyais que mes réponses déstabilisaient parfois mes interlocuteurs, mais comme j’avais été respectueux envers eux, j’ai eu droit au même respect. Je ne crois pas beaucoup en une attitude de confrontation dans une telle situation, car elle cadre aussitôt l’échange dans une relation d’opposition, et non de partage. Et une fois en colère, les gens n’ont pas tendance à écouter, ils cherchent plutôt à avoir raison.

      Puis, je suis d’accord qu’un touriste n’est que de passage dans un pays, il n’en retire et n’apporte pas autant qu’une personne qui y vit, qu’un voyageur peut être un touriste par moments, etc.

      Enfin, oui, c’est vrai que voyager peut nous faire réaliser certaines perceptions inconfortables. Je pense qu’il revient à chacun-e d’agir selon sa conscience, dans de tels cas.

      Haydée et Mylène: intéressante conversation, merci! Continuez. Par ailleurs, je suis d’accord avec Mylène, pour Caracas: il y a des règles à suivre là-bas, qu’on le veuille ou non, et si on ne les suit pas, il peut y avoir de graves conséquences. Et tiens-moi au courant de ton enquête, ça devrait être fascinant (et sans doute choquant).

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