13 questions sérieuses à Pierre

Pierre, à vélo dans les rues de Hoi An au Vietnam (photo prise par M. Le Dong)

Pierre, à vélo dans les rues de Hoi An, au Vietnam (photo prise par M. Le Dong)

La plupart du temps, quand il est question d’un tour du monde avec sac à dos, l’image d’un jeune dans la vingtaine ou trentaine prêt à sillonner la planète avec quelques dollars en poche vient aussitôt à l’esprit. “It’s a young person’s game”, comme on dit en bon français. Mais parfois, certaines personnes viennent briser ce stéréotype. C’est le cas de Pierre Benoit. À 49 ans, il a décidé de tout plaquer pour voyager autour du monde avec un sac à dos pendant un an. Il a décrit ce voyage sur son blogue judicieusement nommé Parti faire un tour…. Entretien avec un “tourdumondiste” atypique.

Pourquoi partir faire un tour du monde avec sac à dos quand on a 49 ans?

Très bonne question. Ce n’est pas quelque chose à laquelle on pense lorsqu’on est au summum de sa carrière et qu’on occupe des postes de responsabilité importants, comme c’était mon cas à l’époque. Disons, pour faire une histoire courte, que je venais de vivre une expérience de travail malheureuse, que j’ai vu mon père tomber gravement malade suite à un AVC et que le plus jeune de mes fils venait de quitter le nid familial pour voler de ses propres ailes. Un bon jour, je suis tombé par hasard sur un article qui illustrait les conséquences de partir faire le tour du monde sur un coup de tête à 40 ans. Ce fut une révélation: Pourquoi pas moi? Pourquoi me rendre malade à m’épuiser au travail ou attendre la retraite et risquer de ne pas en profiter, comme mon père? Bref, pourquoi ne pas profiter pleinement de la vie dès maintenant tandis qu’elle est encore bonne avec moi? Comme j’avais réussi à économiser un peu de sous au cours de ma carrière, j’ai remis ma démission sans plus réfléchir et quelques mois plus tard, je décollais pour la Nouvelle-Zélande.

Comment ton entourage a réagi devant ta décision de partir faire un tour du monde?

Il doit être fou ou malade. Lui qui a une super carrière, qui a des conditions de travail en or, un bon fonds de pension… Bien sûr, personne ne me l’a dit ouvertement mais je sentais bien les points d’interrogation dans leurs regards. En fait, la seule qui a vraiment compris c’est ma compagne. Même si elle était triste comme la pluie de ma décision de partir seul pour un an, elle m’a dit d’y aller car je risquais de le regretter toute ma vie si je ne le faisais pas. Merci Sylvie.

Tu as tenu un blogue, Parti faire un tour…, pour raconter ton tour du monde. Avant ton voyage, quel était ton rapport à l’écriture et à l’univers des blogues?

Je n’avais jamais pensé à me lancer dans une telle aventure avant, même si ma carrière professionnelle est essentiellement dans le merveilleux monde des communications. C’est en lisant des blogues d’autres voyageurs que m’est venue l’idée de partager mon voyage avec mes proches. Pour être tout à fait honnête, j’ai fait ça pour ma mère qui n’a jamais eu le plaisir de voyager, afin qu’elle fasse le tour du monde par procuration. Je lui ai acheté un ordinateur, lui ai appris sur quels raccourcis cliquer et comme par magie, elle est devenue ma plus fidèle lectrice.

Dans la section de ton blogue consacré aux préparatifs, tu mentionnes que, avant ton départ, tu avais une carrière, une hypothèque, une voiture, des abonnements à divers services, etc. Quels impacts toutes ces responsabilités ont-elles eus sur tes préparatifs?

On sous-estime tout le travail à faire avant de partir. J’ai tout fait en deux mois et c’était trop court. Il m’a fallu vendre ma voiture, annuler des abonnements, réduire mes paiements hypothécaires au minimum, acheter des assurances, me faire vacciner, obtenir des visas, etc… Mon train de vie, plutôt confortable jusque-là, a dû être réduit des deux tiers environ et j’ai découvert la simplicité volontaire.

Avais-tu des craintes avant ton départ, et si oui, lesquelles?

Bien sûr. J’avais beaucoup voyagé dans ma vie avant ce jour, essentiellement en Europe et en Amérique du Nord et centrale, mais toujours en mode “grand confort”. Je partais maintenant pour un an avec un minuscule sac à dos et mon budget m’obligeait à vivre en “backpacker”, à 49 ans. La dernière fois que j’avais fait du sac à dos, j’étais chez les scouts. Bref, je craignais de manquer de confort. À tort, puisque je n’ai jamais été inconfortable dans les auberges de jeunesse et autres “guest houses” que j’ai fréquenté. Bien entendu, à mon âge, je me payais le “luxe” de la chambre simple à 20 $ la nuit plutôt que le dortoir à 7 $ et je ne l’ai jamais regretté. En fait, ma plus grande crainte concernait ma vie professionnelle, sachant que ce serait très difficile de retrouver le même niveau d’emploi à mon retour. Mais je me disais que j’affronterais cette réalité seulement au retour. “Advienne que pourra” était devenu ma devise.

Comment les jeunes voyageurs réagissaient lorsqu’ils te rencontraient?

Étonnamment, très bien. J’en intriguais plusieurs et je sentais souvent dans leur intérêt à mon égard qu’ils souhaitaient avoir le “courage” (personnellement, je dis plutôt la témérité ou l’insouciance) de faire la même chose lorsqu’ils auront mon âge, soit l’âge de leurs parents. Je n’ai jamais eu de difficulté à me trouver des amis de passage pour partager un repas ou faire la fête, sauf que je me couchais plus tôt qu’eux. ;)

As-tu rencontré d’autres personnes de ton âge qui voyageaient avec sac à dos? Si oui, comment ces rencontres se sont déroulées?

Très peu de mon âge mais plusieurs retraités plus âgés que moi par contre. Je me souviens d’un couple de personnes âgées, de l’âge de mes parents, la femme marchant difficilement avec une canne, dans une auberge de jeunesse de Wellington en Nouvelle-Zélande. Ils m’ont invité à préparer une bonne bouffe avec eux dans la cuisine commune. J’ai moi-même souvent fais plaisir à plusieurs jeunes ayant une certaine expérience dans l’art culinaire.

Pourquoi avoir apporté une figurine du Bonhomme Carnaval [la mascotte du Carnaval de Québec] avec toi sur la route?

Tout ça a commencé par une blague alors que j’avais subtilisé cette petite figurine à un bon ami avant un voyage à Londres, il y a plusieurs années. Je l’ai pris en photo devant Big Ben, avec un effet de perspective, pour faire croire aux gens que j’avais croisé par hasard Bonhomme dans les rues de Londres. Réalisant que certains ont cru que c’était le vrai Bonhomme, j’ai répété la manoeuvre à Amsterdam, Prague, Budapest et Vienne au cours du même voyage. Au retour, je n’ai pas pu résister à la tentation de lui créer une page Facebook mais dans le plus grand anonymat, personne ne sachant que c’était moi derrière, sauf quelques proches. C’est devenu une tradition depuis et je l’amène partout avec moi en voyage, y compris pendant un an tout autour du monde. Sa page se trouve ici, si vous voulez voir toutes les photos de mon fidèle compagnon de voyage.

Quelle influence ton expérience de vie a-t-elle eue sur le choix de tes activités, de tes destinations?

Énorme. J’ai croisé une quantité phénoménale de jeunes qui ne voyageaient que pour faire la fête et qui ne réalisaient pas vraiment tout ce qui se passait autour d’eux. Disons qu’avec l’expérience que j’ai, c’est l’aspect humain qui prenait le dessus. Disons aussi que mon expérience du voyage me permettait d’être plus zen, d’être plus confiant dans l’organisation de mes déplacements, de me sentir plus en contrôle et en sécurité aussi. Finalement, comme je faisais moins la fête, j’avais plus de temps pour lire et pour choisir mes activités de la journée afin d’en profiter au maximum.

Quelles sont les différences entre voyager avec sac à dos à 20 ans et voyager avec sac à dos à 50 ans?

À 20 ans, on mange des nouilles Ramen à tous les jours, on dort en dortoir bruyant, on s’embarque, mal équipés, dans des treks impossibles de trois jours, on tombe dans tous les pièges à touristes et autres arnaques et surtout, on boit beaucoup de bière. À 50 ans, on mange bien, on dort bien, on s’épuise moins, on s’intéresse aux gens pour d’autres raisons, et on transporte toujours un fonds de bouteille de vin pour en prendre un verre ou deux en soupant.

Comment s’est déroulé le retour?

Pénible, mais je crois que c’est le lot de tout les “tourdumondistes”, peu importe leur âge. On ne peut pas sortir indemne d’une telle aventure. On réalise soudainement qu’on fait partie du 5 % de privilégiés de cette planète et on n’entend que les gens se plaindre de tout lorsqu’on ouvre la télé. On trouve difficilement des gens qui s’intéressent à autre chose que des anecdotes et encore moins qui comprennent vraiment ce qu’on vient de vivre. Du côté professionnel, ce fut aussi ardu de me replacer car ça ne faisait pas “sérieux” ce trou dans mon CV. Il doit y avoir quelque chose de louche derrière, personne ne fait ça. Surtout à cet âge. Par contre, avec un peu de patience, j’ai réussi à retrouver le même niveau de responsabilité et le même train de vie qu’avant, mais avec une vision différente de l’univers qui m’entoure. Et le même niveau de stress qu’avant aussi, malheureusement.

Quelles leçons as-tu tirées de ton tour du monde?

Peu importe la langue, la race, la couleur de peau ou la religion, nous sommes tous pareils sur cette petite planète. 95 % d’entre nous sommes des bonnes personnes, qui font de leur mieux pour nourrir leur famille, la majorité silencieuse qui ne ferait pas de mal à une mouche, ceux qui sont prêts à te donner leur dernier bol de riz parce que tu leur fais l’honneur de venir les visiter chez eux. “We all share same blood” comme m’a dit un arabe enturbané qui s’intéressait à mon voyage.

Quels sont tes projets?

Un autre tour du monde à la retraite? Mais cette fois dans des coins moins accessibles comme le Bhoutan, la Corée du Nord, l’Antarctique, l’Iran ou n’importe quelle île perdue où il fait toujours beau et chaud. J’y songe sérieusement, si la santé me le permet.

La suite de cette entrevue sera publiée ce jeudi.

6 thoughts on “13 questions sérieuses à Pierre

  1. Jennifer

    Eh ben chapeau! Tu me serviras maintenant de modèle pour les gens qui me disent que c’est pas possible “à leur âge”. Oui, on voyage différemment, mais on peut le faire quand même. Je dis toujours que quand on veut, on peut, et tu le prouves bien! ;) Hâte de lire la suite!

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    1. Stéphane Pageau Post author

      Content de voir que tu as apprécié l’entrevue, Jennifer! Je suis d’accord avec toi: l’histoire de Pierre est très inspirante.

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  2. annick

    Ah! quel personnage ce Pierre, je me reconnais un peu en lui (..au vu de l’age ..et des convictions .et de son choix aussi .) j’ai envie de dire comme Jennifer, quand on veut , on peut !
    Et l’âge n’est pas un frein, tant que l’on a la santé, c’est l’envie qui est le moteur.
    ça me conforte dans ma décision de partir dans …3 ans . ( à 60ans )
    j’espère que l’on pourra se rencontrer en Mars prochain à Montréal .
    Je vais de ce click visiter son blogue
    @+

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  3. Stéphane Pageau Post author

    Merci pour ton commentaire, Annick! C’est vrai que la santé est un facteur très important, lorsque vient le temps de voyager, mais la volonté l’est tout autant. Il faut foncer, sinon rien n’arrivera.

    Bonne chance dans tes projets et oui, au plaisir de se croiser à Montréal en mars.

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  4. Mario Dubé

    Voilà une belle entrevue. J’admire Pierre pour son courage et sa ténacité. Ça m’impressionne toujours de voir des gens qui laissent tout tomber pour partir autour du monde. Lorsqu’on a 20 ans et qu’on est encore libre de tout, c’est facile (je l’ai fait et je suis parti pendant plus de trois mois), mais une fois qu’on a un boulot stable, des biens matériels, des comptes à payer et un(e) conjoint(e) c’est beaucoup plus complexe… et ça peut sembler terrifiant aussi. Hmmm… très inspirant en tout cas…

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    1. Stéphane Pageau Post author

      Merci pour ton commentaire, Mario! C’est sûr que certaines situations demandent plus de logistique, en vue d’un long voyage, mais la volonté permet beaucoup de choses. Bonne chance dans tous tes projets!

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