La lutte professionnelle: une portée mondiale (3e partie)

Troisième et dernière partie d’une série de textes sur la lutte professionnelle. Cette fois, je parle de ses fans et de certains de ses aspects historiques et culturels.

Un stéréotype tenace

Souvent, quand je parle de lutte professionnelle à des gens qui connaissent mal cet univers, ils s’imaginent que ses fans ne réalisent pas que tout ça n’est que de la fiction, que tout est arrangé à l’avance, que ces fans sont des imbéciles heureux, naïfs et fiers de l’être. Or rien n’est plus faux: les fans savent pertinemment que tout est arrangé. Non seulement ils le savent, mais ils l’acceptent. En fait, j’aime blaguer en disant que la dernière personne à croire que la lutte professionnelle était réelle fut mon grand-père, la personne qui m’a fait découvrir ce divertissement. Je me souviens encore de conversations entre lui et plusieurs de mes oncles, qui le provoquaient avec des remises en question de ses perceptions du produit.

Affiche d'une tournée de la WWE, à Liège

Affiche d’une tournée de la WWE, à Liège

De plus, aujourd’hui, grâce à Internet, les fans peuvent même connaître les développements futurs des histoires, grâce aux “spoilers“. Là, il s’agit d’un choix personnel: certains fans ne veulent pas les lire afin de conserver l’élément de surprise, alors que d’autres aiment détenir ces informations avant tout le monde. Personnellement, je pense que connaître les histoires à l’avance ne gâche pas le plaisir de l’expérience. Après tout, on peut apprécier Le Malade imaginaire même si on en connait déjà la fin. La surprise se transforme alors en anticipation. De toute façon, quiconque suit un tant soit peu les récits peut assez bien deviner leurs développements. Certes, quelques récits offrent des rebondissements majeurs, mais souvent, ils demeurent assez prévisibles. Ce côté prévisible ne se veut toutefois pas un défaut, car dans beaucoup de cas, l’histoire se terminera par une conclusion “logique”, qui saura satisfaire les fans (par exemple, le Bon triomphera du Méchant).

Des codes propres

La lutte professionnelle possède aussi son lot de codes propres: des inside jokes (What?), des manières précises d’exprimer son appui ou son mépris envers un personnage particulier, de réagir selon des circonstances spécifiques, etc. Les fans connaissent ces codes et les emploient à bon escient. Cette connaissance engendre une connivence entre les spectatrices et spectateurs et donne parfois lieu au phénomène de la “foule rebelle“. Il survient quand une foule refuse de jouer le rôle attendu d’elle: ainsi, lors du gala Wrestlemania X-8 de la World Wrestling Entertainment (WWE), en 2002, le Bon était The Rock, et le Méchant, “Hollywood” Hulk Hogan. En théorie, la foule aurait appuyer The Rock, mais elle a plutôt choisi de soutenir Hogan. Les deux lutteurs, perplexes au début du match, se sont vite adaptés à cette situation, créant ainsi un match encore plus intéressant, puisqu’il a dévié du plan original pour s’accommoder de la réaction du public. Dans d’autres cas, les lutteurs ne s’adaptent pas à la rébellion de la foule (par exemple, lors du match John Cena contre Triple H à Wrestlemania 22); le match devient alors étrange à regarder, surtout si les commentateurs font comme si le récit suivait son cours prévu.

http://www.youtube.com/watch?v=AHoIm72F9Nc

En outre, un gala de lutte constitue une occasion rêvée pour exprimer des émotions, comme la joie ou la colère, parce que les personnages sont payés pour générer ces émotions. Les fans, en s’exprimant, jouent par conséquent leur rôle; ils participent activement, consciemment à la construction du récit, avec un degré de collaboration variable selon les circonstances. Il est donc aujourd’hui absurde de croire à une prétendue naïveté des fans.

Malgré tout… une longue tradition

On peut faire bien des critiques à l’endroit de la lutte professionnelle et certaines sont tout à fait valides. Cet univers est complexe et pas aussi manichéen qu’il n’y paraît de prime abord. Mais au-delà de ses défauts, la lutte professionnelle, en tant que sport/divertissement, rejoint des gens de différents pays, de différentes cultures: l’Angleterre, la France, le Mexique, le Japon, la Grèce, la Turquie, la Mongolie, l’Inde, les États-Unis, le Québec et de nombreux autres sont des hauts lieux de lutte, et ce, depuis des décennies, voire des siècles. Chaque région a développé ses propres variantes de la lutte et plusieurs noms ont traversé le temps pour résonner encore aujourd’hui: Georges Hackenschmidt, Frank Gotch, The Great Gama, Rikidōzan, Shohei Baba, Antonio Inoki, Bruno Sammartino, The Fabulous Moolah, Mil Mascaras, El Santo, etc.

https://www.youtube.com/watch?v=ZOlbKqp7K9U

Au Québec, bien avant Maurice Richard au hockey, les premières vedettes internationales étaient des hommes forts/lutteurs tels que Louis Cyr et Yvon Robert. Robert était même une grande vedette de la lutte professionnelle en Amérique du Nord, dès les années 1930. Puis, d’autres vedettes suivirent, comme les familles Rougeau, Vachon et Leduc, Gino Brito, Dino Bravo, Rick Martel et tellement d’autres. Cette longue tradition a perdu de sa vigueur depuis quelques années, mais elle se perpétue malgré tout, comme en témoigne la présence de lutteurs québécois au sein d’organisations internationales (par exemple, Sami Zayn avec la WWE et Kevin Steen avec Ring of Honor) et de plusieurs organisations de lutte professionnelle en sol québécois, comme la NCW. Bref, dans un tel contexte, je ne peux être surpris que mon grand-père m’ait fait connaître un divertissement aussi ancré dans les moeurs de la société québécoise. Pour celles et ceux qui souhaitent en apprendre plus sur l’histoire de la lutte professionnelle au Québec, vous pouvez lire l’excellent, le monumental livre À la semaine prochaine, si Dieu le veut! de Pat Laprade et Bertrand Hébert (Libre Expression, 2013).

Une réponse simpliste à un phénomène complexe

Je ne saurais expliquer de façon exhaustive dans un si court texte pourquoi la lutte professionnelle possède cette portée mondiale. Une réponse élaborée nécessiterait aisément une thèse de doctorat ou deux. Ma théorie? Si certaines histoires de la lutte professionnelle semblent avoir une telle portée, c’est qu’elles résonnent avec des récits présents dans les folklores et les mythologies de nombreuses sociétés. Chaque société possède son lot d’histoires et des traits communs existent entre ces histoires. Par exemple, le Bien contre le Mal constitue un mythe universel. Il serait ainsi captivant de réaliser des études sur la lutte professionnelle à partir de perspectives telles que l’ethnologie.

http://www.youtube.com/watch?v=z910gwoySGs

Une autre raison du succès de la lutte professionnelle à travers le monde est qu’elle incarne la fascination des différents peuples pour les sports de combat et les arts martiaux. Pour avoir assisté à un gala de muay thaï en Thaïlande en compagnie d’une foule majoritairement thaïlandaise et à des galas de lutte professionnelle en Amérique du Nord, je confirme que les ambiances se ressemblent. La même intensité, la même passion, mais chacune avec ses codes propres. La lutte professionnelle parvient même à se glisser dans des régions insoupçonnées, comme le suggère ce texte de Wandering Earl. Je n’ai pas voyagé tant que cela, mais mes voyages m’ont permis de constater à quel point la lutte professionnelle exerce un puissant magnétisme dans de nombreux pays. Je suis persuadé que ce constat ne sera que renforcé par mes prochains voyages.

Des matchs pour vous

Parfois méprisée, souvent incomprise, la lutte professionnelle propose un univers particulier, avec ses qualités et ses défauts. De plus, sa longue et riche histoire fait en sorte que l’on peut consacrer des heures et des heures à sa découverte. Des sites comme Youtube et Dailymotion constituent des mines d’or pour visionner des matchs classiques de diverses époques. Je vous laisse donc avec une liste de quelques matchs que j’aime beaucoup et que je n’ai pas déjà inclus dans cette série de billets. Je pourrais en mentionner beaucoup, beaucoup plus, mais je vais me contenter de ceux qui me viennent à l’esprit sans trop réfléchir. À vous maintenant de les trouver. Bon visionnement!

– Shawn Michaels vs The Undertaker (Wrestlemania XXV; 2009)
– Shawn Michaels vs Kurt Angle (Wrestlemania 21; 2005)
– Ultimate Warrior vs Macho Man Randy Savage (Career Match, Wrestlemania VII; 1991)
– Kurt Angle vs Chris Benoit (WWE Championship Match, Royal Rumble 2003)
– Ric Flair vs Ricky Steamboat (NWA World Heavyweight Championship, Chi-Town Rumble; 1989)
– Sting Squadron vs The Dangerous Alliance (War Games Match, WrestleWar 1992)
– Shawn Michaels vs Razor Ramon (Intercontinental Championship Ladder Match, Wrestlemania X; 1994)
– Edge/Rey Mysterio vs Kurt Angle/Chris Benoit (Tag Team Championship Match, No Mercy 2002)
– Bret Hart vs “The British Bulldog” Davey Boy Smith (Intercontinental Championship Match, SummerSlam 1992)
– Triple H vs Cactus Jack (WWE Championship Street Fight Match, Royal Rumble 2000)
– Eddie Guerrero vs Brock Lesnar (WWE Championship Match, No Way Out 2004)
– Shawn Michaels vs Triple H vs Chris Benoit (World Heavyweight Championship Triple Threat Match, Wrestlemania XX; 2004)
– Trish Stratus vs Lita (Women’s Championship Match Monday Night Raw; 6 décembre 2004)
– Trish Stratus vs Jazz vs Victoria (Women’s Championship Triple Threat Match, Wrestlemania XIX; 2003)
– Team Austin vs Team Bischoff (Elimination Match, Survivor Series 2003)

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