15 ans plus tard: les leçons qui restent

J’ai réalisé cette semaine que, il y a 15 ans, je me trouvais en Colombie-Britannique. Je devais travailler dans les plantations de fruits de la vallée de l’Okanagan avec trois ami-es. L’une d’elle l’avait fait l’année précédente, et tout s’était très bien déroulé. On avait planifié d’y arriver à la fin de mai, après la session de cégep (le cégep est le niveau entre l’école secondaire et l’université, au Québec), juste au début des récoltes. Mais les imprévus nous ont vite rattrapés. J’ai déjà écrit sur mon expérience (ici et ici), alors je n’en répéterai pas tous les détails. Je me concentrerai cette fois sur ce qui reste, après autant d’années.

Région de Can Tho, Vietnam

Région de Cần Thơ, Vietnam

Un voyage initiatique post-cégep classique

En 1999, aller en Colombie-Britannique pour travailler dans les plantations de fruits de la vallée de l’Okanagan était un voyage post-cégep classique pour les jeunes adultes québécois, car il combinait aventure et travail, tout en restant une expérience accessible et sans trop de dépaysement. Ce voyage avait aussi un caractère initiatique; pour plusieurs, il s’agissait d’un premier « vrai » voyage. Il était tellement populaire que la ville d’Oliver pouvait voir sa population augmenter d’au moins 2000 à 3000 personnes, l’été; on pouvait ainsi se promener dans les rues et, à la vue d’une personne avec un sac à dos, on pouvait dire « Bonjour » avec l’assurance d’entendre « Bonjour » en retour. Un camping appelé Loose Bay, situé en retrait de la ville, accueillait une partie de ces Québécois-es. Endroit très particulier, qui réunissait des personnes provenant d’univers bien différents, unies par le désir de vivre une même expérience. Par ailleurs, les gens se rendaient souvent dans la vallée sur le pouce; en général, du Québec, le trajet prenait de 4 à 6 jours, à ce qu’on m’a dit. Je ne l’ai pas fait, pour diverses raisons, mais j’aurais aimé, d’autant plus que je faisais encore du pouce à l’époque. Enfin, la fête nationale du Québec (la Saint-Jean, qui a lieu le 24 juin) était intensément célébrée dans plusieurs lieux en Colombie-Britannique, dont Shit Lake; j’ai entendu de nombreuses folles histoires sur les partys là-bas, mais je n’y ai pas été, j’étais revenu au Québec à ce moment-là. Apparemment, la déchéance humaine s’y exprimait avec une éloquence Bukowski-esque.

Champ dans la région de Liège (Belgique)

Région de Liège (Belgique)

Un monde pré-flashpacker

En 1999, Internet était en émergence: les cybercafés existaient, je connaissais vaguement ICQ, mais je ne l’utilisais pas, et j’ai créé ma première adresse de courriel pour ce voyage. Les blogues de voyage? Un concept encore peu répandu (pour moi, en tout cas). C’est amusant d’y repenser, d’ailleurs. Les cellulaires n’étaient pas aussi populaires qu’aujourd’hui, non plus; en fait, je ne me souviens pas d’en voir vus. Avec du recul, je réalise que je suis privilégié d’avoir connu l’époque pré-flashpacker; pas que je sois nostalgique, au contraire, je ne pourrais voyager sans Internet maintenant, mais j’apprécie le fait d’avoir connu des perspectives différentes. Par conséquent, sur la route, je combine des éléments de ces deux façons de voyager et j’aime ça. Par exemple, aujourd’hui, l’idée de voyager sans téléphone intelligent relève de l’hérésie pour plusieurs, alors que je me sens très à l’aise avec elle. Sans doute un jour je m’en procurerai un, mais je ne le ferai pas avant d’avoir la certitude que j’en ai réellement besoin.

Champ dans la région de Sprimont, Belgique

Région de Sprimont, Belgique

L’apprentissage de l’adaptation

Ce voyage fut mon deuxième voyage d’envergure, après un séjour en Europe l’été précédent. J’avais alors dû gérer des imprévus, mais je le constate maintenant, ce n’était rien de trop difficile. Par contre, mon voyage en Colombie-Britannique fut essentiellement un imprévu de plusieurs semaines. J’y ai donc appris à gérer non seulement les circonstances non planifiées, mais aussi les réactions de personnes qui avaient de la difficulté à accepter les changements de plans. Ce fut difficile par moments, je dois l’admettre, mais j’ai alors acquis une maturité de voyageur qui me sert encore aujourd’hui. Je suis beaucoup plus sélectif dans le choix des gens avec qui je voyage et je suis beaucoup plus zen face aux imprévus. Pas que je les apprécie plus, mais je garde plus facilement la tête froide, je m’adapte mieux aux circonstances et j’essaie toujours de trouver des solutions, au lieu de péter un plomb.

Aujourd’hui

Je ne sais pas si la situation est la même aujourd’hui, si la Colombie-Britannique est encore un Eldorado pour jeunes Québécois-es à la recherche d’aventure. Néanmoins, je suis heureux d’y avoir été. J’ai appris beaucoup de leçons lors de ce voyage, dont la plus importante: ça ne suffit pas de partir avec un-e ami-e, il faut partir avec une personne que l’on peut endurer – et qui peut nous endurer – 24 heures sur 24. Et c’est encore plus vrai si on part avec plusieurs personnes; le degré de complexité des interactions et des accords entre caractères devient alors beaucoup plus élevé. Ainsi, en raison des mésententes que nous avons vécues, je ne parle plus depuis des années aux personnes avec qui je suis parti en Colombie-Britannique. J’ai payé cher certaines leçons, mais je ne regrette rien. Les erreurs apportent plus que les succès, car elles nous apprennent de nouvelles choses; les succès ne font que confirmer ce que l’on sait déjà.

**Je n’ai pas de photos de mon voyage en Colombie-Britannique, car je les avais prêtées à une de mes amies et elle ne me les a jamais redonnées. J’ai donc mis des photos qui évoquent l’agriculture.

3 thoughts on “15 ans plus tard: les leçons qui restent

  1. annick

    Ah ! Nostalgie quand tu nous tiens, que dire de mon premier “Grand ” voyage en …1978, ( Ceylan) un temps où il n’y avait ni ordi, ni internet, ni téléphone mobile…..pour les photos il fallait apporter dans ses valises des rouleaux de pellicules et faire “click” lorsque l’on était sûr de faire “la” bonne photo (à cause du prix du développement …..) photos qui hélas sont maintenant jaunies …
    Nous étions même considérés comme des “Aventuriers” dès lors que l’on partait en Avion ( avec Aéroflot…. ) à plus de 8000km.
    Nous avions le choix, de communiquer avec des lettres ( vous savez les bouts de papier où il faut écrire dessus puis les mettre dans une enveloppe y ajouter un timbre, puis envoyer le tout grâce à la poste vers sa destination ;-) ) [ sans être sûr de son arrivée ] et en cas d’urgence, il y avait le télégramme .
    Nos amis sur place ( en tour du monde pour deux ans ) avait des postes restantes où l’on pouvait les joindre avant qu’ils ne quittent la régions.
    Et que dire de ces contretemps qui mènent à de drôles de situations ( très stressantes sur le moment !) où la chance a été d’une grande aide pour débuter sereinement notre voyage.
    Et par moments nous partions vraiment pour l’inconnu. Nous étions comme des enfants, nos yeux grands ouverts, vierges de toute image.
    Pas de “pré” vison d’hôtels, villes, via internet , pas de petit Futé, pas de Tripadvisor, il fallait beaucoup parler, échanger avec d’autres voyageurs et avec la population, faire confiance….
    Et nous avions logé ( avec bonheur ) chez l’habitant, de vraies découvertes, non par idéologie mais par nécessité, du au manque d’infrastructures dans un pays qui venait de s’ouvrir au tourisme.
    Mais oui, ces voyages c’est avec nostalgie que l’on s’en souvient, nous avions vraiment l’impression d’être des privilégiés et des aventuriers et ils resteront pour toujours très vivants dans nos mémoires.
    Mais maintenant j’aurais du mal à faire sans internet qui reste pour moi avant le mobile l’objet dont j’aurais du mal à me passer.
    Bon voyage à tous .

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    1. Stéphane Pageau Post author

      Merci pour ton commentaire, Annick! Autres temps, autres moeurs. Je parlais justement avec mon oncle globe-trotter (et mentor) du développement des technologies et de leur importance grandissante dans le monde des voyages et il me disait que, après avoir beaucoup voyagé comme toi (sans guide, téléphone mobile, appareil photo numérique, Internet, etc.), il ne pourrait maintenant plus se passer d’Internet. Je crois que les voyageurs utilisent toujours ce dont ils ont à leur disposition pour faciliter leurs expériences, peu importe l’époque, et que, si Internet avait été développé beaucoup plus tôt, les gens l’auraient utilisé dès son apparition.

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  2. Tiphanya

    C’est drôle ce que vous dites avec Annick, car un peu plus jeune que vous deux, mon premier grand voyage était en 2001, je suis allée passer 2 mois en Australie. Si j’avais bien un ordi chez moi, je connaissais l’existence d’internet (une copine l’avait chez elle), mais ne l’avait jamais utilisé. Du coup mes hôtes australiens, m’ont créé une adresse mail et m’ont permis de lire Le monde en ligne tous les matins !
    Mais ce n’est que cette année que je voyage pour la première fois avec un ordi dans mon sac.
    Alors ça me fait bien rire quand ma belle-soeur (tout juste 18 ans), se plaint que son ordi soit trop vieux et qu’elle n’en a pas à emmener au Brésil avec elle en août…

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