Le 14 février, j’ai été au musée de Tuol Sleng (aussi connu sous le nom de S-21), le musée sur le génocide cambodgien. En 1975, les Khmers rouges ont transformé l’école secondaire Tuol Svay Prey en centre d’interrogation et de détention. 17 000 personnes y ont été torturées, puis amenées (si elles n’étaient pas déjà mortes) dans des “killing fields” pour y être achevées. Seulement 7 ont été retrouvées vivantes par les forces nord-vietnamiennes, quand elles ont fait tomber le régime de Pol Pot, au début de janvier 1979. Hommes, femmes, enfants, tout le monde a été happé par cette folie meurtrière. Le consensus actuel estime qu’au moins 1,7 million de Cambodgien-nes ont été tué-es par les Khmers rouges. Sur une population d’environ 8 millions, à l’époque. Une boucherie. Une des plus grandes tragédies humaines du XXe siècle.

Coeurs sensibles s’abstenir

Tuol Sleng est un des endroits les plus durs que j’ai visités. J’ai trouvé particulièrement difficile de marcher dans les salles d’interrogatoire. Dans chacune d’elle se trouve un lit sur lequel les victimes étaient torturées; sur un des murs de chaque pièce est affichée une photo montrant la victime découverte par les troupes nord-vietnamiennes. Ces photos sont atroces. Traumatisantes.

Dans un des édifices se trouvent des photos de centaines, de milliers de victimes. Des photos de visages, surtout. Dans un autre édifice, des cellules. Des barbelés. Une potence, dans la cour. Les murs ici portent tant de douleur, tant de souffrances. Les échos de tous ces cris que personne n’a pu entendre. Tant de tristesse à marcher dans ces lieux. Tant de colère devant autant d’horreur. Tant d’impuissance devant ces blessures qui ne pourront jamais vraiment guérir.

Dans une salle d’un des bâtiments, j’ai regardé un documentaire intitulé Bophana, qui raconte l’histoire de Bophana, une femme du peuple qui a vécu un amour interdit avec un membre des Khmers rouges. Ils ont tous deux été assassinés par le régime à cause de cet amour.

De l’importance du respect

Je me demande toutefois ce que certaines personnes faisaient à Tuol Sleng, comme ces jeunes femmes aux shorts si courtes qu’on voyait le début de leurs fesses. On n’est pas dans un bar, ici; on est dans un ancien centre de torture. Ou encore ces groupes de touristes souriants, bruyants, cabotins, qui se faisaient photographier devant les bâtiments comme s’ils étaient à Disney World. Je plains les Cambodgiens qui, au cours d’une visite qui doit leur être douloureuse, doivent supporter ces affligeants spectacles.

Par ailleurs, le jour où j’ai été à ce musée était le jour de la Saint-Valentin, et je trouvais étrange que des couples aient décidé de visiter un tel symbole de la violence, en cette date. Je ne sais pas, ils auraient pu faire une croisière sur le Tonlé Sap ou quelque chose dans le style, mais aller dans un musée qui souligne un génocide, le jour de la “fête de l’amour”? Bizarre.

Un devoir de mémoire

Tuol Sleng est l’un de ces endroits d’où l’on ressort changé. Difficile d’en sortir indemne. Mais je crois que c’est important d’y aller. Ne serait-ce que pour honorer la mémoire de toutes ces personnes qui sont mortes sans avoir eu la possibilité de demander de l’aide. Pour que leur mort ne tombe pas dans les oubliettes de l’Histoire. Pour que l’on n’oublie jamais que de telles atrocités ont eu lieu et peuvent, hélas, encore se produire.