13 questions sérieuses à Marie-Eve

Marie-Eve et Roukie, au Costa Rica (photo prise par )

Marie-Eve et Roukie, dans la péninsule de Nicoya, au Costa Rica (photo prise par Marie-Eve Blanchard)

Dans la veine de l’entrevue du mois dernier, sur le voyage en famille (1re partie, 2e partie), j’ai décidé d’aborder cette fois le voyage en monoparentalité. Dans un monde où le nombre de monoparents grandit sans cesse, cette manière de voyager devient de plus en plus commune. Elle peut toutefois sembler une expérience difficile, voire impossible, pour certain-es, en raison des défis particuliers qu’elle soulève. Marie-Eve Blanchard, alias Mawoui, la connaît bien, grâce aux voyages qu’elle a effectués avec sa fille Roukie. Sur son blogue, Como la Espuma, Marie-Eve raconte non seulement ses voyages, mais aussi sa vision des voyages. Vision qu’elle a généreusement accepté de partager avec La page à Pageau.

Tu écris un blogue, tu guides des groupes dans diverses villes, tu écris des articles pour différentes publications… comment en es-tu venue à t’impliquer autant dans l’univers des voyages?

Je suis une passionnée, hypersensible, curieuse et insatiable d’apprendre et de découvertes. Mélomane et dévoreuse de livres aussi. C’est donc les autres univers sous toutes ces formes, l’ailleurs, qui m’allument, me charment ou me font rêver. Ce que j’y cherche c’est la rencontre, l’autre. J’ai donc choisi de mettre au coeur de ma vie professionnelle mes passions et mon amour des mots en essayant de la tisser comme je peux et en conservant mon autonomie. La route est par moment cahoteuse et parfois difficile dans l’univers de la pige. N’empêche qu’elle est belle ;-)

Quelle place ton blogue, Como la Espuma, occupe-t-il dans tes projets?

Pas assez! J’aimerais le tenir bien davantage. Néanmoins, j’y ai deux approches : journalistique et une écriture plus intimiste, qui nécessitent toutes les deux beaucoup de temps. De plus, je prends régulièrement du recul, je me questionne beaucoup, ne veux pas écrire pour écrire, publier pour publier. On me demande régulièrement d’écrire plus. J’aimerais! Mais à travers tous mes projets et avec un enfant, je dois parfois prioriser les contrats payants. N’empêche, il viendra le temps où je serai aussi payée pour des chroniques qui étaleront mes états d’âme et ma perception de l’ailleurs ;-)

Comment ta perception des voyages a-t-elle changé, depuis que tu voyages avec ta fille?

Ma perception du voyage n’a pour ainsi dire pas changée, car je crois qu’il existe autant de manières de voyager qu’il y a de personnalités. J’en épouse différentes formes; accompagnée avec un jeune enfant c’est un peu comme apprivoiser une solitude à deux. Certains vont y voir une contrainte. J’y vois plutôt un plus, qui donne un tout autre sens à l’expérience. C’est plutôt ma perception de la stabilité qui a changé…

Quels ajustements logistiques as-tu dû apporter à ta manière de voyager, depuis que tu voyages avec ta fille?

On s’ajuste et apprend tout comme à la maison en suivant le développement de l’enfant, j’imagine. Il faut faire de la place pour les couches, le lait, les vêtements; ne rien oublier pour les poussées dentaires, maladies, etc. Je suis habituée de voyager « backpack » très léger, mais au Costa Rica, je n’avais jamais eu aussi peu d’effets m’appartenant dans mon sac. Tout y était pour elle. Inversement, l’été où on a fait du « woofing » sur une ferme biologique et une tournée du Québec en camping, ma maison entière se tenait à l’intérieur de ma voiture au cas où… Je vais tout autant dans des auberges de jeunesse, Roukie y est d’ailleurs souvent la plus jeune cliente, mais je fais encore plus attention à la salubrité aussi et je rentre plus tôt. On s’adapte à la réalité de l’avant, je suis plus prévoyante et organisée, pense à acheter du lait en fin de journée pour le lendemain matin, m’informe davantage, j’imagine.

Quels buts vises-tu en emmenant ta fille en voyage?

Au début, j’imagine que c’était pour me prouver qu’elle ne changerait pas ma vie, moi qui défend farouchement ma liberté et mon autonomie… hish!! J’ai foncé dans un mur, il faut croire. Sinon, pour transmettre des valeurs importantes à ma fille: je souhaite qu’elle ne se limite pas à cause de la peur, qu’elle la regarde en face, en apprenant à évaluer le danger réel des peurs que l’on se créer dans nos têtes. À ce jour, Roukie n’est allée qu’au Mexique, au Costa Rica, aux États-Unis et au Canada. Je veux retourner en Europe avec elle et découvrir l’Asie à ses côtés. Son père aussi voyage régulièrement par affaires ou pour approfondir ses passions. J’ai envie de lui montrer que le voyage fait partie intégrante de la vie, qu’on peut y puiser du baume pour l’âme autant qu’y faire des découvertes incroyables. Que des vacances peuvent se transformer en projets humanitaires qui font sens. Qu’il s’y trouve aussi parfois de la fuite et qu’il faut apprendre à revenir lorsqu’on a compris ce qu’on allait y chercher. Pour mieux repartir, j’imagine.

Selon toi, comment vos voyages ont-ils influencé ta fille?

Roukie s’est fait hospitalisée dernièrement. Deux longues semaines de lit d’hôpital. Elle souffrait et la situation était assez grave. Jamais je n’ai entendu de plaintes ou de « Quand est-ce qu’on rentre à la maison? ». J’ai voulu lui présenter cela comme une aventure, on faisait du camping à l’hôpital, ciné-parc et popcorn en soirée. Elle était heureuse. Au terme de ces deux semaines, j’étais fière de la maman que je suis devenue. Je suis persuadée que tout dans notre manière de vivre les événements est une question d’attitude et que développer sa capacité de s’adapter rapidement en fait partie. Je ne crois pas que ça se limite aux voyages mais aussi, sinon davantage, à l’attitude dans le quotidien. Je trimballe ma fille un peu partout, l’emmène régulièrement dans des musées, restos, spectacles, etc., où je me fais parfois regarder avec de gros yeux. Comme si le monde n’appartenait qu’aux adultes et que les enfants devaient rentrer dans une case bien précise et ne pas en ressortir. Ça m’horripile, je n’ai aucune tolérance, tout comme j’ai aucune tolérance face aux plaintes des gens dans les avions, comme si les enfants n’avaient pas le droit de se déplacer pour ne pas bousculer certaines quiétudes. La culture montréalaise s’ouvre tranquillement à cette réalité en tenant de plus en plus compte des enfants. Néanmoins, allez en Espagne: c’est fréquent et habituel de voir des parents souper tardivement sur une terrasse tandis que bébé dort dans sa poussette!

Comment les gens des pays visités réagissent-ils quand ils réalisent que tu voyages seule avec ta fille?

Un enfant, c’est comme la musique: c’est un merveilleux passeport qui t’ouvre bien des portes. Tu n’es pas menaçant avec un enfant, jamais. C’est donc beaucoup plus facile entrer en relation avec des locaux. Cependant, j’essaie de faire preuve de jugement, je ne dis pas nécessairement à tous et chacun que je suis seule avec elle. Autrement, il est malheureusement parfois difficile d’aller au-delà de l’usuel stéréotype: cela suscite beaucoup d’émerveillement chez les hommes, parfois du jugement de certaines femmes. Néanmoins, je réalise que pour les futures mamans ça peut aussi être inspirant.

Quels sont les défis propres au fait de voyager seule avec un enfant?

La sécurité, la vigilance, la fatigue. Surtout la fatigue avec un jeune enfant! Gérer seule les imprévus. Bien organiser la logistique de la nourriture, des couches, du lait, trimballer seule les effets pour une journée de trek, etc. J’ai voyagé seule assez tôt, c’est mon mode de voyage préféré, alors je suis habituée de ne pas me contraindre, d’aller où je veux, quand je veux… tout le contraire d’un voyage avec un enfant où il faut s’organiser, orienter autrement l’itinéraire et les activités. J’ajouterais ne jamais pouvoir être seule dans sa bulle… Gérer aussi les contraintes qu’impose la présence d’un autre parent et des proches, leurs craintes et leurs émotions. D’où l’importance de préparatifs respectueux de la réalité de l’autre. J’imagine qu’avec le temps et les années d’autres défis viendront.

Quelles sont les joies propres au fait de voyager seule avec un enfant?

Tisser une grande et unique complicité, vivre des premières fois ensemble, faire le voyage autrement, à travers ses yeux, dans son regard.

Qu’est-ce que les voyages peuvent apporter à un enfant?

L’ouverture à l’autre. Aiguiser sa curiosité et ses sens, accroître sa capacité d’adaptation, sa soif de connaître. L’exposer tôt à la différence et de par le fait même à la tolérance.

Une perception autre du monde également. J’ai campé durant trois semaines avec elle un peu partout en Gaspésie alors qu’elle avait huit mois. Ma fille, quand elle voit une tente, elle appelle cela une maison… Elle a maintenant trois ans et me rappelle ce que j’ai oublié de mettre dans sa valise. C’est tout dire !

Quels conseils donnerais-tu à une personne en situation de monoparentalité qui désire voyager avec son ou ses enfants, mais qui hésite à le faire?

Monoparentale ou non, de ne pas écouter les « il est trop jeune, il ne s’en rappellera plus ». Un an et demi plus tard ma fille me parle régulièrement de toucans, de paresseux et de titis et me demande quand est-ce qu’on va retourner dans la jungle ensemble. Face à l’hésitation, apprendre à se faire confiance, de ne pas écouter les autres (du moins leurs craintes).

La monoparentalité devient de plus en plus une norme. Néanmoins, j’entends encore beaucoup de préjugés comme quoi c’est correct de voyager « en famille », sous-entendant avec un homme, mais seule c’est imprudent… Un peu les mêmes préjugés qui ont longtemps eu cours envers la femme qui voyage seule. À démystifier donc.

Vivre, c’est prendre des risques… je crois qu’il faut encourager les enfants à prendre des risques mesurés.

Quel serait ton voyage de rêve?

Traverser l’Amérique du Sud à la Diarios de motocicleta [Voyage à motocyclette, de Ernesto “Che” Guevara], participer à la création de jardins alimentaires en Afrique, au Mali principalement, quoique ce ne soit pas le bon moment, contempler le blanc infini de l’Antarctique, réaliser une mission humanitaire en Asie, réaliser un reportage au Vietnam, camper avec les Touaregs dans le désert, parfaire mes connaissances en herboristerie avec un chaman en Amazonie nord-équatorienne, etc. Le voyage de rêve se veut pour moi intense et est lié à l’expérience.

Quels sont tes projets?

Trop! Je porte beaucoup de rêves que je veux transformer en projets. J’ai de la difficulté à faire le deuil que je ne peux pas tout faire. Dans les prochains mois, j’aimerais renouer avec l’écriture créative et romanesque, plancher sur un recueil de contes, approfondir mes connaissances en photographie, mettre un projet de film-documentaire en branle, repartir en voyage en famille…

La suite de cette entrevue sera publiée ce jeudi.

4 thoughts on “13 questions sérieuses à Marie-Eve

  1. Tiphanya

    Merci pour cette interview. Je n’ai pour l’instant que très peu voyagé avec ma fille et passé de longues heures à chercher un endroit où acheter du lait en poudre pour elle dans Tokyo. Je ne suis pas sûre que j’aurai le courage de voyager seule avec un bébé.
    Je partage également les mauvais regards pour oser emmener une petite fille partout. Il faut être prêt à se faire détester en s’approchant de la porte d’embarquement, à entendre les gens espérer haut et fort ne pas être assis à côté de nous… Mais ce n’est pas ça, pas les autres, qui doivent nous empêcher de le faire.
    Vivement le suite.

    Reply
    1. Stéphane Pageau Post author

      Y a pas de quoi, Tiphanya. Content de voir qu’elle t’a plu. Ce doit être toute une expérience de voyager seul-e avec un enfant. C’est déplorable que des gens puissent avoir des réactions aussi merdiques face aux personnes qui voyagent avec un enfant. Un peu de compréhension rendrait service à tout le monde. En effet, c’est important de ne pas s’empêcher de faire ce que l’on veut vraiment, alors je te souhaite des tas de voyage avec ta fille.

      Reply
    1. Stéphane Pageau Post author

      Ha ha… le temps, cette denrée si précieuse. Merci de l’invitation, le questionnaire semble intéressant. Je vais regarder ça et je tâcherai de trouver deux minutes pour y répondre. Bonne fin de semaine à toi.

      Reply

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.