Critique: “Sept enfants autour du monde” de Jérôme Deliry

Sept enfants, deux adultes, une seule famille. Un projet fou. Et un livre qui raconte un voyage unique. Voilà ce que propose Sept enfants autour du monde de Jérôme Deliry (Éditions Calmann-Lévy, 2010).

Un titre pertinent

Comme son titre l’indique, le livre raconte le voyage d’Emmanuelle et Jérôme Deliry et leur sept enfants: Côme, 14 ans; Claire, 12 ans; Sophie, 10 ans; Philibert, 8 ans; Clotaire, 7 ans; Anne, 5 ans; Émilie, 2 ans. Chacun-e avec sa personnalité. De la haute voltige parentale, sans aucun doute. De plus, d’autres enfants se sont ajoutés au fil des mois: cousins, amis, le fils du capitaine du catamaran, etc. Comme si neuf personnes n’étaient pas assez…

(crédit photo: http://www.amazon.fr/Sept-enfants-autour-du-monde/dp/2702140971)

(crédit photo: http://www.amazon.fr/Sept-enfants-autour-du-monde/dp/2702140971)

Le livre se divise en deux parties principales: le trajet en catamaran (le No Limit), de la France aux îles des Caraïbes, avec des arrêts au Maroc, aux îles Canaries, au Sénégal et au Cap-Vert; et le trajet en autocaravane, des États-Unis au Canada, avec un détour au Mexique. Chacune de ces parties possède un ton propre, puisque la vie en mer et la vie sur l’asphalte diffèrent à tant de niveaux. La vie sur le bateau impose une intimité constante, qui génère parfois des explosions, alors que l’autocaravane permet davantage d’occasions de pauses salutaires, comme en témoigne cet épisode vécu au Mexique:

“Les journées s’écoulent doucement et nous goûtons au plaisir sans cesse renouvelé de cette halte forcée dans notre vie nomade. Le rythme est agréable. Le matin, les enfants se répartissent pour travailler. Les uns s’installent avec Maman dans la grande palapa commune, une paillote qui sert de lieu de fête, de salle de gym ou de cours, et même d’office pour le dimanche. Les autres accompagnent Papa au bar, devant la mer. Une à deux heures d’étude le matin, et chacun vit ensuite librement, allant et venant de la piscine à la mer, d’un camping-car à un autre selon l’humeur du moment. […]” (p. 257)

Le récit suit un ordre chronologique, à la manière d’un journal. On constate donc l’évolution des personnalités, au fil des mois. Une approche conventionnelle, certes, mais toujours efficace. Côté style, rien de remarquable, mais la plume honnête raconte ce voyage de plus de dix mois sous ses diverses facettes, sans cacher les moments difficiles ou embarrassants. La description des émotions occupe une place importante, elle se glisse dans les chapitres avec naturel et rend la lecture plus digeste.

Logistique olympique

L’aspect le plus captivant du livre touche la gestion du quotidien. La présence de sept enfants confère à chaque jour sa part de défis, de l’éducation des enfants à leur surveillance dans les lieux publics à leur alimentation. Certaines descriptions épuisent presque, tant elles évoquent des scènes intenses:

“[…] Alors que nous nous apprêtons à monter dans l’annexe, Claire s’écrie soudain:

– Mais où est Anne?

Chacun regarde autour de soi. Pas d’Anne à l’horizon. Maman interroge:

– Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois?
– Pas depuis que nous avons quitté le bar…
– Côme, viens avec moi. Les autres, restez avec Papa!

[…]

Soudain, couverte par la musique, elle [maman] perçoit une voix répétant la même ritournelle, entrecoupée de sanglots:

“Maman, j’ai fini de faire caca… Maman, j’ai fini de faire caca… (bis repetita).”
Elle ouvre la porte des WC et découvre Anne, le pantalon sur les genoux, assise sur les toilettes, des larmes plein les yeux, qui continue à pousser sa chansonnette, inlassablement.

– Ça fait une heure que j’ai fini et que je vous appelle…

Côme arrive alors que maman termine un gros câlin consolateur, de ceux qui valent tous les abandons, même ceux dans les WC au fond d’un bar des Saintes [archipel d’îlots volcaniques des Antilles françaises dans la mer des Caraïbes].” (p. 172-173)

Malgré les difficultés, les Deliry ont vécu des moments extraordinaires durant leur périple. Cette grouillante marmaille, avec son énergie et sa soif de découvertes, attire la sympathie et le respect partout où elle débarque, provoquant par le fait même des rencontres mémorables. Le segment sur le Sénégal s’avère particulièrement intéressant, même si la famille bourguignone n’y a séjourné qu’une dizaine de jours. Les enfants ont tout de même eu la chance d’aller à l’école avec des jeunes du village de Mar Lothie, une expérience hors du commun pour toutes les personnes impliquées.

Un choix narratif discutable

Dès le début du livre, le lecteur apprend que la narration est effectuée du point de vue de Inès, la fille d’Emmanuelle et de Jérôme, décédée à l’âge de deux mois et demi. Ce choix, sans conteste hautement symbolique pour la famille, est cependant discutable au plan du récit, d’autant plus qu’il est plaqué dès le début de façon peu subtile:

“Je m’appelle Inès et j’ai deux mois et demi… depuis douze ans! Je suis née en novembre 1995, dix-huit mois après Côme, et j’ai fait le mauvais tour à mes parents de repartir sur la pointe des pieds, une nuit de janvier 1996.” (p. 14)

Cette révélation aurait été plus efficace à la toute fin du livre. L’effet aurait alors été plus réussi, plus touchant. Au début, le lecteur n’a pas encore eu le temps de se lier émotivement aux membres de la famille Deliry qu’il se voit aspiré de force dans cette partie très intime de leur vie, ce qui peut créer un certain malaise. Si cette puissante révélation avait eu lieu à la fin, le lecteur aurait pu mieux en apprécier l’impact, car il aurait eu plus de 300 pages pour s’installer au sein de la dynamique familiale, il aurait ainsi été mieux préparé à recevoir un dénouement aussi fort.

Faire le saut

Ce livre de 333 pages démontre qu’une famille aussi nombreuse peut voyager au long cours. Oui, un tel projet présente des écueils, mais il offre également de généreuses récompenses. S’ils reconnaissent eux-mêmes à la fin du livre que leur voyage ne fut pas une épopée homérique (“Nous sommes bien loin d’avoir réalisé un tour du monde. L’idée de savoir le monde si vaste à découvrir est rassurant. [sic] Il y a tant de rêves à réaliser.” p. 331), les Deliry se targuent toutefois, avec raison, d’avoir osé aller au bout de leur rêve. Une fois qu’on a fermé “Sept enfants autour du monde”, on ne peut que constater que pour eux, ce voyage fut la meilleure décision de leurs vies.

3 thoughts on “Critique: “Sept enfants autour du monde” de Jérôme Deliry

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