Un tour du monde, 10 ans plus tard

Songkran, à Chiang Mai, Thaïlande (avril 2012). Mon moment préféré de mon tour du monde.

Il y a dix ans, le 10 novembre, 2011 je partais faire un tour du monde. Je partais sans avoir de plans trop définis, juste une direction (vers l’Asie), sans date de retour. Je ne suis parti que dix mois, au final. J’avais un certain budget et je ne me suis privé de rien. Je ne voyageais pas pour économiser, je voulais vivre. Et vécu, j’ai.

Je n’ai pas publié d’article le jour même de cet anniversaire. J’ai simplement oublié. Cet oubli montre que ce voyage est maintenant plus un souvenir qu’une partie encore active de mon quotidien. À bien des égards, je n’ai plus beaucoup de choses avec en commun avec la personne que j’étais alors. Nombre de mes priorités ont évolué depuis.

La poutine, une priorité qui ne change pas.

Dix ans… ce que des choses changent, en dix ans. D’autres, pas. J’aimerais aborder dans ce texte des sujets inspirés par mon tour du monde (et par ses retombées) et par l’évolution du monde du voyage depuis dix ans. Cet article sera ainsi un genre de bilan. Ce bilan ne sera toutefois pas exhaustif, car ce serait beaucoup trop long de décrire toutes les réflexions qui m’ont habité depuis mon voyage. J’en ai par conséquent choisi quelques-unes sur lesquelles je voulais m’attarder. Donc…

Les nomades numériques existent depuis des années

Déjà, en 2011, le mouvement des nomades numériques existait; ça me fait sourire quand je vois des gens qui en parlent comme d’un phénomène « nouveau », « tendance », etc. Je publiais déjà des billets sur le sujet en 2010 (1, 2, 3), et des blogueurs comme Chris Guillebeau (The Art of Non-Conformity) et Jonathan et Lea Woodward (Location Independent) parlaient de tout ça… dès 2008-2009. Il y a presque 15 ans, donc.

Comment travailler dans un tel contexte?

Lors de mon tour du monde, je ne travaillais pas, par choix, mais je voyais que beaucoup de monde voyageait déjà avec un ordi ou téléphone intelligent. Et oui, de nombreuses personnes travaillaient sur la route. Moins qu’aujourd’hui, certes, mais ça ne change rien au fait que ce phénomène existait déjà. Il n’a fait que prendre de l’ampleur depuis. Et, à en juger par le nombre grandissant de pays qui créent des visas spéciaux pour les nomades numériques, je pense pouvoir affirmer, sans crainte de me tromper, qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Cette mobilité va continuer, pour le meilleur et pour le pire.

Le zèle des nouveaux convertis

Cet univers de nomades numériques a étiré ses tentacules dans divers champs d’intérêts, créant par le fait même des communautés virtuelles. Au fil des années, ces communautés ont grandi et elles se sont même ancrées de plus en plus dans le réel. Certaines villes sont ainsi devenues des bases populaires auprès de nombreux nomades: Medellín, Playa del Carmen/Tulum, San Juan del Sur, Bansko, l’ile de Bali en général, Bangkok, Chiang Mai, Hô-Chi-Minh-Ville, etc.

Medellín, destination populaire pour les nomades numériques (2015)

Or, souvent, ces communautés attirent des gens en quête de sens. Des gens qui adhèrent alors à des idées nouvelles pour eux: spiritualité, religion, idéologie, philosophie, etc. Peu importe. Cette adhésion s’accompagne pour plusieurs d’un prosélytisme fiévreux et d’un dogmatisme blindé. Ils deviennent figés dans leur nouveau système de croyances. La souplesse d’antan fait place à la rigidité de la vérité perçue. Au fil des ans, j’ai croisé de plus en plus de voyageuses et voyageurs convaincu-e-s de détenir un monopole sur la vérité. Hélas. Je ne comprends pas comment on peut explorer la complexité du monde dans toutes ses nuances quand on se cantonne dans une vision fermée des choses.

La positivité toxique du voyage

Pas besoin de chercher de 12 h 03 à 14 h 06 pour réaliser que les citations inspirantes en lien avec le voyage pullulent sur les réseaux sociaux. Je crois que ces publications partent d’une bonne intention, mais à mes yeux, elles entretiennent une positivité toxique. Elles renvoient à une image déformée de la réalité, puisque celle-ci est inaccessible à des centaines de millions, voire des milliards d’être humains. Comme si un paysan cambodgien qui gagne moins de deux dollars par jour peut vraiment tout plaquer là et aller faire le tour du monde, en publiant de belles photos trop travaillées sur les réseaux sociaux. C’est durant mon tour du monde que j’ai saisi cette réalité. 

Un paysan cambodgien et ses bêtes. S’il le voulait vraiment, il pourrait tout plaquer pour faire un tour du monde, semble-t-il. (2012)

Je suis effaré de constater le nombre de personnes qui semblent ne pas comprendre ce fait pourtant simple et évident. Quiconque a voyagé dans des pays où les disparités socioéconomiques sautent aux yeux devrait le comprendre. La possibilité de choisir sa vie et de la vivre avec le moins d’entraves possibles n’est pas une situation envisageable pour une vaste portion de l’humanité. Les discours du genre « si tu veux, tu peux » et autres représentent la quintessence du privilège (surtout occidental et blanc). Je suis un privilégié. Comme la très grande majorité des voyageuses et voyageurs.

Vieillir et voyager

Quand on est dans la vingtaine ou la trentaine, on se croit invincible. Avec raison. On est – généralement – en santé, on est motivé-e, on a envie d’explorer, etc. On fonce, sans trop se poser de questions. J’étais dans ma mi-trentaine lorsque j’ai fait mon tour du monde, alors je le sais bien.

Un an de plus, ça se fête! (Tachkent, 2016)

Mais la quarantaine amène une certaine réalité: le début de diverses décrépitudes, comme les maladies. Sans parler des accidents et, parfois, des suicides. J’ai ainsi vu des gens dans mon entourage plus ou moins proche développer des problèmes de santé. Et, par la suite, ils ont adapté leur quotidien aux conséquences de ces problèmes. Ils ne voyagent donc plus de la même façon qu’avant, en raison de leurs nouvelles limitations.

Soi Cowboy, à Bangkok. Pour adultes avertis.

De plus, la crise de la quarantaine, souvent caricaturée dans les oeuvres artistiques, est néanmoins réelle pour certaines personnes. Elle les pousse à entreprendre de grandes remises en question. Parfois, elles se terminent bien et la personne évolue à un nouveau stade de sa vie; d’autres fois, elles se terminent mal et la personne s’enfonce dans un dangereux cloaque. J’ai ainsi vu, en Asie du Sud-Est, de nombreux hommes tomber dans le tourisme sexuel le plus sordide qui soit, dans un effort apparent pour fuir l’emprise du temps qui passe. Ça ne fonctionne pas. Ils ont surtout l’air pathétiques. Le mal-être ne se guérit pas simplement en changeant de lieu.

Les enfants

Les choix de vie aussi changent les façons de voyager. Avoir des enfants, par exemple. Voyager en famille à quarante ans ne ressemble pas beaucoup à voyager en routard à vingt ans (selon mes observations, du moins). Rares sont les vingtenaires qui se promènent avec une marmaille. À leur âge, ils préfèrent se vautrer dans la luxure des « party hostels » et c’est correct ainsi. Il y a un temps pour chaque chose. En outre, j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus d’auberges qui accommodent les familles et c’est formidable. Comme je n’ai pas d’enfant, je ne commenterai pas davantage ce mode de voyage, mais vous pourrez trouver quantité de blogues qui abordent le sujet.

« Juste » huit heures de « Happy Hour »?

Pour ma part, je me surprends parfois à penser que je pourrais être le père de nombreuses personnes dans chaque auberge que je visite. J’ai eu un choc la première fois que cette réflexion m’a traversé l’esprit. C’était après mon tour du monde, quelque part en Amérique latine, lors de mon voyage d’une année dans cette région du globe, en 2014-2015. Aujourd’hui, cette réflexion fait partie de ma réalité. C’est la vie. C’est ma vie.

En attendant un prochain (long) voyage…

Alors voilà. Quelques réflexions inspirées par mon tour du monde. J’aurais pu aborder bien d’autres sujets, mais j’ai choisi ceux qui me parlaient le plus au moment d’écrire ce billet. J’espère que ça vous a plu. Je reviendrai avec d’autres billets plus tard, quand je sentirai de nouveau l’appel de l’inspiration.