Le niveau suivant

      Aucun commentaire sur Le niveau suivant

Barrio d’Olivetti, à Caracas.

Cette année marque le 15e anniversaire de mon voyage au Venezuela, et, par le fait même, le 15e anniversaire de mon blogue. Je ne le réalise pas vraiment encore: 15 ans de ma vie à écrire des trucs plus ou moins intéressants/pertinents, en prenant soin de mentionner aussi souvent que possible mon amour des poutines, du métal et des singes. Je ne peux calculer le nombre d’heures passées à entretenir ce projet. Mais j’ai aimé ces heures. Des moments de créativité, de liberté, de plaisir. Dans un monde où tout va toujours de plus en plus vite, j’ai adoré pouvoir prendre le temps d’arrêter et de m’amuser à jouer avec des mots. J’aime cette bulle.

Un temps de réflexion

Il s’en est bien sûr passé des choses, en 15 ans, et mon blogue a évidemment changé durant cette période; je relis mes premiers billets (voici le premier des 928 que j’ai publiés) et je grince des dents devant la qualité (ou plutôt, l’absence de) de certains d’entre eux. En même temps, ce blogue ne devait au départ servir qu’à donner de mes nouvelles à mes proches, pendant mon stage d’environ quatre mois au Venezuela. Puis, je me suis laissé gagner par le plaisir d’écrire et me voici, 15 ans plus tard, encore en train de « sacrifier » des journées ensoleillées pour édifier une oeuvre personnelle.

J’écrirai plus tard. (Holbox, Mexique)

Mon regard sur l’univers des blogues a sans surprise changé avec les années; j’ai pu constater de visu son évolution, tant du côté francophone qu’anglophone. Divulgâcheur: la technologie a été l’un des plus importants vecteurs de changement dans cet univers. Mon regard sur les voyages a lui aussi changé, au rythme de ma propre évolution, mais aussi des événements historiques, des changements de mentalités par rapport à divers aspects socioculturels, etc.

Le monde en mouvement (Bogotá, Colombie)

Enfin, la pause pandémique fut l’occasion pour moi de réfléchir à bien des choses, tant de mon point de vue de blogueur que de voyageur. Je partage donc avec vous certains constats tirés de ces réflexions. J’avais écrit une section sur les blogues, mais, en me relisant, j’ai réalisé que ça ne correspondait pas au ton que je souhaitais donner à ce billet. J’ai mis tout ça de côté. Je vais peut-être publier ces réflexions dans un billet ultérieur. Pour le moment, je veux me concentrer davantage sur le volet « voyageur ».

La solitude est parfois bien réelle, sur la route

Comme je le mentionnais dans mon billet précédent, je suis saturé des gens. Ce qui est paradoxal, c’est que cette impression de saturation m’a fait réévaluer mon rapport à la solitude. Je me souviens de mes premiers jours à Sanare, sans avoir d’ami-e-s, sans connaître la langue, sans pouvoir compter sur un Internet fiable… ouaip, c’était solitaire. Et désagréable. Mais cette solitude était alors surtout physique.

Sanare, Venezuela

Aujourd’hui, la solitude se manifeste pour moi d’une autre façon: je suis aujourd’hui trop vieux pour être jeune et trop jeune pour être vieux. Autrement dit, si je me tiens avec un groupe de vingtenaires, je fais « papy qui essaie de se taper de la chair fraîche » et si je me tiens avec des retraités, je suis trop wild pour eux. Bref, je ne cadre plus trop dans le décor. Je suis dans un genre de no man’s land touristique. Cet univers où je nageais comme un poisson dans l’eau m’est peu à peu devenu moins familier. Quand je réfléchis à cette situation, je me rappelle cette phrase dans la chanson The Weary Kind de Ryan Bingham (tirée de la trame sonore de l’excellent film Crazy Heart): « Somehow this don’t feel like home anymore ». Exactement.

Un « bucket » à 8 h 19? Plus maintenant, jeunots. (Haad Rin, Thaïlande)

J’ai une grande part de responsabilité dans cette situation. J’ai changé. Mes priorités aussi. Mais je dois aussi reconnaître que de nombreuses personnes de ma génération ne voyagent plus comme moi, et ce, pour une raison fort simple: ils sont aujourd’hui parents. Et c’est normal, car je pense pouvoir dire sans crainte de me tromper – je n’ai pas d’enfant – que voyager avec des enfants est une aventure complètement différente que celle de voyager en solo. Et si ces personnes n’ont pas d’enfant, elles ne sortent plus autant dans les bars, elles n’ont plus nécessairement envie d’essayer des activités risquées comme la descente d’un volcan sur une luge, elles ne veulent aller fouiller dans les « racks » de disquaires métal (bon, elles n’y allaient peut-être pas de toute façon AVANT), etc. Elles ont changé. Leurs priorités aussi.

Comment ne pas aimer fouiller les « racks » d’un disquaire métal? (San José, Costa Rica)

Et, honnêtement, je sais que ce serait « creepy » si je voyageais à mon âge comme je voyageais quand j’avais 24 ans. J’en croise de temps en temps, de ces spécimens qui, malgré le passage des décennies, n’ont jamais quitté leur vie de jeune adulte. Ils sont pathétiques. J’ai d’autres ambitions que de rejoindre leur communauté.

C‘est quoi, le niveau suivant?

J’en arrive au titre de ce billet. Je vais y aller par généralisations, parce que ce sera ainsi plus facile d’amener mon point. Je sais, je sais, il y a des exceptions. Donc…. dans la vingtaine, on est en mode découverte. On vit, on absorbe tout, on apprend sans arrêt et c’est parfait ainsi. Dans la trentaine, on a par conséquent déjà un certain bagage. Or, souvent, on pense déjà savoir tout ou presque, on estime qu’on a beaucoup vécu, qu’on a atteint un haut degré de sagesse, on se prend pour Wittgenstein, etc. J’étais comme ça (je crois). Et à lire divers articles sur des blogues ou divers commentaires sur des groupes de voyageuses et de voyageurs, je ne suis pas un cas unique. Cette attitude contient un germe d’arrogance, même si elle est souvent de bonne foi.

La sagesse, un long apprentissage (Polonnaruwa, Sri Lanka)

Je le réalise pleinement, maintenant que je suis dans la quarantaine. Je ne connaissais pas tant de choses que ça, au final. Certaines expériences marquantes – comme devenir parent, perdre des proches ou devoir lutter contre une maladie incurable – apportent nécessairement de nouvelles perspectives. On passe de « le voyage, c’est toute ma vie » à « ma vie, c’est plus que juste mes voyages ». Même quand on s’imagine – ô combien candidement – avoir atteint le summum de la sagesse, la vie se charge toujours de nous envoyer une balle rapide dans la fourche. Et on n’a pas toujours le jockstrap pour prévenir le coup.

Traduction libre: « On retourne dans les lieux où l’on a aimé la vie » (Mendoza, Argentine)

La grande leçon à retenir dans tout ça est qu’il y a toujours un niveau suivant. Je suis passé au niveau suivant plusieurs fois, depuis mon voyage au Venezuela, depuis mon tour du monde, depuis mon voyage en Amérique latine, depuis tous mes autres voyages. Ce blogue le démontre (pour les quinze dernières années, du moins). Et cette évolution n’est pas terminée. D’autres niveaux m’attendent, pour le meilleur et pour le pire. Je sais déjà que, quand je me relirai dans 13, 26, 32 ou 41 ans (si je suis encore là), je me trouverai bien naïf d’avoir cru nombre de ces choses auxquelles je crois aujourd’hui. Ça va, je vis en paix avec cette idée. En fait, j’ai hâte de les connaître, les niveaux suivants. Ils deviennent toujours de plus en plus intéressants. Pas toujours plus faciles, mais toujours plus instructifs. C’est peut-être ça, le sens de la vie.

Métaphore de la vie (poste frontalier Los Libertadores, au Chili)

Je ne pourrais terminer ce billet sans souligner votre fidélité, chères lectrices et chers lecteurs. Merci d’avoir été là, mais surtout, merci d’être encore là. En espérant que vous serez encore là.